Interview : Jesu

Après l'excellent Silver l'année passée, Justin Broadrick et Jesu sont de retour en 2007 avec un nouvel album plus ambitieux que jamais, Conqueror. De passage à Paris le mois dernier, son compère Diarmuid Dalton nous exposait sa vision du groupe et ses nombreux projets à venir...

Date : 21.02.2007, Artiste : Jesu, Interview réalisée par : Fab
 
Jesu reste un groupe assez obscur aux yeux du public français, peux-tu nous en dire un peu plus sur le passé de la formation ?
Je connais Justin depuis des années, et on avait déjà eu l’occasion de jouer de la musique ensemble avant qu’il ne s’implique dans Napalm Death. Un ami commun nous avait présentés, et notre amitié n’a jamais cessé depuis…
Le début de ta collaboration avec Justin date donc de quelques années seulement ?
A vrai dire, j’avais vaguement participé à l’enregistrement du dernier album de Godflesh, notamment pour le titre... Jesu ! J’avais aussi accompagné le groupe sur scène durant sa dernière tournée pour certaines parties électroniques, et j’avais donc déjà eu l’occasion de me produire sur scène avec Justin et Ted Parsons, notre batteur désormais. Lorsque Justin a décidé de lancer le groupe en 2003 ou 2004, je l’ai donc logiquement rejoint.
Durant votre première tournée avec Pelican, tu jouais en duo avec Justin sans batteur… je crois que tout ne s’est pas passé comme prévu ?
C’est le moins que l’on puisse dire… ce fut une tournée très éprouvante pour nous. On a vite compris qu’il était impossible de retranscrire notre musique correctement avec des ordinateurs. On a essayé cette configuration durant cette tournée donc, mais ça n’a pas fonctionné. La présence d’un batteur au sein d’un groupe est très importante car il existe une interactivité entre lui et les autres musiciens, et sans cela tout semble compliqué à mettre en place. Ted est vraiment la personne dont Jesu avait besoin. C’est un batteur très doué, puissant et technique… un membre du groupe à part entière désormais.
Jesu accompagnera bientôt Isis durant une longue tournée américaine de plusieurs semaines, tu es impatient ?
Je n’ai jamais eu la chance de partir en tournée aux Etats-Unis avec un groupe. Je suis très excité par cette idée mais je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre vis-à-vis du public local. On doit jouer entre trente et quarante concerts, c’est très impressionnant et presque dur à imaginer à pour le moment. C’est un honneur de pouvoir accompagner un groupe comme Isis, on avait déjà eu l’occasion de jouer avec eux en Europe en 2005 et donc de faire connaissance, et cette nouvelle tournée nous donnera la possibilité de retrouver des amis.
Ne penses-tu pas que cette tournée sera une étape importante dans la carrière de Jesu ?
Bien sûr… pour un groupe comme le nôtre, c’est une opportunité fantastique de présenter notre musique à des personnes qui ne nous connaissent pas. C’est d’autant plus spécial que cette tournée va se dérouler sur un autre continent. Je pense que les anciens de fans de Godflesh feront aussi le déplacement pour nous voir, ou ne serait-ce que pour retrouver Justin sur scène. Je me trompe peut-être, mais je ne crois pas qu’il ait joué là-bas depuis quelques années maintenant.
Est-ce qu’une tournée en Europe de Jesu est envisagée à l’heure actuelle ?
Certainement, mais je ne pense pas avant le mois de septembre… on doit tout d’abord honorer la tournée avec Isis, puis donner quelques concerts au Japon et jouer dans plusieurs festivals lorsque l’été sera venu. On devrait organiser une tournée en tête d’affiche en Europe, probablement avec Pelican en première partie.
Votre second album, Conqueror, sortira en Europe à la mi-février. Quelle est la signification de ce titre ?
C’est une expression plutôt ironique liée à la chanson du même nom. Justin l’a choisie lorsqu’il a écrit les paroles du morceau. Le terme « conqueror » peut avoir des significations diverses, comme à l’époque des grands explorateurs ou lorsqu’un groupe part en tournée pour conquérir le public d’une certaine façon. Il est très facile de jouer avec ce mot. Il dégage une notion de puissance, la force de pouvoir dépasser tous les obstacles et partir en conquête.
Même si Justin passe aux yeux de beaucoup comme l’âme du groupe, de quelle manière fonctionne le processus créatif au sein de Jesu ?
Justin a le plus souvent besoin d’un temps de réflexion très long pour écrire et mettre en place ses idées. Même s’il écoute mon avis ainsi que celui de Ted, les chansons sont en général à un stade très avancé lorsqu’il nous les présente… mais si ce n’est pas le cas, il expose des idées et on tente alors de construire quelque chose de cohérent en apportant chacun une touche personnelle. Ce n’est qu’après avoir établi la structure d’une chanson que Ted enregistre ses parties de batterie, il apporte la touche finale tel un métronome.
Le fonctionnement du groupe semble bien rôdé désormais : après avoir travaillé très longtemps sur un premier album, vous avez sorti Silver l’an dernier puis Conqueror en 2007. Comment expliques-tu cette prolificité ?
Les apparences peuvent être trompeuses... certaines des chansons de notre nouvel album sont écrites depuis très longtemps, il nous manquait simplement le temps nécessaire pour les perfectionner et les enregistrer définitivement. Les idées nous viennent aussi plus facilement à certains moments qu’à d’autres, et dans ce cas il n’est pas question de perdre du temps et d’hésiter. La version japonaise de Conqueror est accompagnée d’un CD bonus avec deux titres un peu spéciaux de plus de quinze minutes chacun, ce ne sont pas des chansons typiques de Jesu mais on a quand même souhaiter les sortir pour nos fans et ceux qui achèteront le disque en import. Ce sont des titres très expérimentaux et mélodieux, mais on aime composer sans réfléchir à l’utilité que pourra avoir le morceau au final. C’est notre manière à nous d’être prolifiques.
Comment parvenez-vous à concilier vos nombreux projets musical avec Jesu ?
Il faut savoir s’organiser, mais être musicien à plein temps est un mode de vie que l’on a choisi. Justin travaille régulièrement sur son nouveau projet, Grey Machine, mais c’est un développement sur le long terme. A l’heure actuelle notre priorité va à Jesu, nos autres occupations sont mises de coté le temps qu’il faudra. Plus tu veux faire de choses à la fois, plus les complications se font sentir, il faut donc trouver un juste équilibre.
Les disques que vous écoutez en studio ou en tournée influencent-ils la musique de Jesu ?
Inconsciemment, oui. On écoute beaucoup de musique, des groupes très variés qui sont parfois très éloignés les uns des autres musicalement. Les goûts de Justin me surprennent souvent, il est capable d’écouter des disques de pop mielleuse comme du heavy metal ou du reggae ! Le son de Jesu est à l’image de nos goûts, il synthétise l’ensemble de nos influences et crée un amalgame que l’on peut retrouver par la suite sur nos disques. La musique reste de la musique après tout…
La diversité de votre musique est très surprenante… on sent l’influence de la pop, du shoegazing et du metal mais le résultat reste pourtant très homogène. Quel est le secret de cette réussite selon toi ?
Après avoir quitté Godflesh, Justin voulait vraiment créer de la musique à son image. Avec Jesu, que ce soit en studio ou sur scène, la liberté est totale. Notre maison de disque n’intervient jamais dans notre travail. On compose, on enregistre et on part en tournée sans contrainte, et même si nos disques touchent à plusieurs styles simultanément, personne ne nous le reproche. Jesu n’entre dans aucune catégorie, les journalistes ne peuvent pas nous mettre dans une case musicale.
Est-ce aussi pour cela que la voix de Justin semble toujours en retrait par rapport aux instruments ?
Justin écrit ses textes en fonction des mélodies puis il utilise sa voix comme un instrument supplémentaire, tout comme le serait une guitare ou une basse. Depuis longtemps maintenant Justin est obsédé par le fait de trouver la meilleure utilisation possible de sa voix. Il expérimente beaucoup sur ce point, il souhaitait depuis longtemps s’essayer à quelque chose de différent et Jesu lui offre cette possibilité.
A quand un album de Jesu purement instrumental ?
Aucune chance que cela arrive ! Certains de nos titres isolés sont instrumentaux et très mélodiques, mais je n’imagine pas un disque sans la voix de Justin. Les paroles sont au moins aussi importantes que les instruments.
Les pochettes de vos albums ont jusqu’à maintenant été créées par Aaron Turner d’Isis. En a-t-il été de même pour Conqueror ?
Justin a encore une fois collaboré avec Aaron pour ce disque. Il prend de nombreuses photos de lieux divers puis les lui envoie aux Etats-Unis afin qu’il les retouche. Le résultat me semble encore une fois très convaincant !
Considères-tu Jesu comme ta plus grande réussite musicale à ce jour ?
Oui, sans l’ombre d’un doute ! Je ne renie pas mon passé de musicien, mais Jesu est à l’évidence ma plus grande fierté.

 

 















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